Le Top 5 de... Henri Texier
En ces temps étranges, nous croyons plus que jamais qu’il est essentiel de cultiver le lien précieux qui nous unit aux artistes et au public. Nous avons pris des nouvelles des musiciens que nous suivons, et leur avons demandé de nous révéler les cinq titres qui formeraient leur playlist idéale. Ces morceaux qui les ont marqués, qui les inspirent, ou qui les accompagnent depuis des années… Aujourd'hui, c'est au tour du contrebassiste Henri Texier de se prêter au jeu. Il nous ouvre son album personnel pour y saisir cinq souvenirs.
Trio Red Garland, Paul Chambers & Philly Joe Jones - "Billy Boy" (Milestones, Miles Davis 1958)
Très simplement parce que cette pièce est la réalisation du parfait équilibre que j'imagine pour ce triangle classique et magique : piano - contrebasse – batterie.
Les trois musiciens sont au sommet de leur art , à égale distance du centre de gravité : maîtrise instrumentale, de l'espace temps, inspiration sans faille, swing sublime d'une « légèreté profonde »... Résultat : une jubilation sans pareille. Merci à Miles d'avoir laissé sa splendide section rythmique s'exprimer librement. La classe !
A l'époque pendant laquelle j'ai joué avec Phil Woods, Philly Joe Jones résidait à Paris et plusieurs fois il est venu jammer avec la European Rythm Machine. Je me souviens d'un mémorable « Milestones » qui m'a donné le frisson et l'impression d'être téléporté dans le sextet de Miles …
Lee Konitz - "Thingin" (Respect, Henri Texier 1991)
Pour l'immense talent de Bob Brookmeyer, Lee Konitz, Steve Swallow et Paul Motian, que j'ai rêvé de réunir afin de leur rendre un hommage à la hauteur de mon Admiration et de mon Respect.
J'avais prévu d'enregistrer en quatre jours dix compositions : deux de chacun des musiciens. Je n'avais jamais rencontré Bob avant cette séance. Paul n'avait plus rejoué avec lui depuis 1957. Steve n'avait jamais joué avec Bob...
Le lundi après-midi, nous avons découvert et défriché les deux compositions de chacun. Le mardi, nous avons commencé à enregistrer à 10h00... A 17h00, nous avions mis en boîte sept compos ... Le mercredi matin trois compos... En une journée et demie, l'enregistrement du disque était fini !
Kenny Wheeler - "On Mo" (Angel Song, Kenny Wheeler 1997)
On retrouve Lee Konitz, ce n'est pas un hasard. C'est une rencontre magnifique de quatre grands créateurs-stylistes qui ont inventé des univers tellement poétiques...
A part Dave Holland, que je connais vraiment bien, j'ai eu la chance de jouer et d'enregistrer avec Bill Frisell et Lee Konitz. Très souvent, j'ai invité Kenny dans mes projets avec Joe Lovano, John Abercrombie, Dewey Redman... Nous avons joué beaucoup en trio avec Aldo Romano mais, hélas, je n'ai pas eu l'occasion de fixer tous ces beaux moments sur disque et c'est un de mes plus grands regrets. Kenny était un homme d'une grande gentillesse et d'une grande douceur.
Henri Texier - Desaparecido (Colonel Skopje, Henri Texier 1989)
Quintet que j'ai réuni avec Joe Lovano, John Abercrombie, Steve Swallow et Aldo Romano.
Pour Joe et John. Tous les deux également de grands stylistes, d'une inspiration sans égale. John avait déjà très fortement influencé les guitaristes et Joe peu de temps après allait détrôner Mike Brecker comme « influenceur » de la jeune génération des saxophonistes.
En fait, celui qui fut la « première pierre » de cette bien belle réunion de talents originaux, c'est Steve Swallow . Lorsqu'à l'occasion d'un festival au début des années 80 on me proposa d'inviter un musicien américain, le nom de Steve a été le premier à me traverser l'esprit, instantanément. Il fut le premier grand musicien américain que j'ai invité... Une révélation. Un homme aux très grandes qualités humaines, intellectuelles et bien évidemment musicales.
Steve Lacy - "The Mystery Song" (Evidence, Steve Lacy 1962)
Pour Don, d'abord. Tout le monde sait à quel point Don Cherry fut pour moi une rencontre absolument déterminante dans ma façon d'envisager la musique, grâce à la recommandation d'Aldo Romano de m'engager pour remplacer Jean-François Jenny-Clark dans le Quintet de Don en 1966.
Mais aussi pour Steve Lacy, bien sûr, avec qui j'ai joué pour son premier engagement à Paris, et plusieurs fois par la suite...
Mais surtout pour Billy Higgins, avec lequel j'aurais adoré jouer, ce qui est aussi un grand regret.
Henri Texier est un phare dans le paysage du jazz français. Il a été, dans les années 60, le sideman des légendes qui traversaient l’Atlantique pour jouer à Paris : Bud Powell, Donald Byrd, Dexter Gordon, Chet Baker...
Cet artiste, qui nourrit ses compositions des musiques du monde et répertoires folkloriques découverts au détour de ses voyages, faisait encore escale sur notre scène en novembre dernier pour nous présenter son Sand Quintet.
Lorsqu’on lui demande de nous évoquer l’un de ses souvenirs dans le club, le contrebassiste se tourne quelques années en arrière : « Lors de son dernier passage à Paris en « free-lance », Joe Lovano nous invita avec Aldo Romano à venir jouer en trio avec lui au Duc... Trop bien ! Nous avons joué deux soirs. Deux soirées de retrouvailles mémorables, et en particulier une pendant laquelle Gato Barbieri, qui était à Paris pour un concert privé, nous a rejoints comme auditeur. Quelle belle et grande surprise ! Quel grand moment que de deviser gaiement avec Aldo et ces deux grands saxophonistes qui ont tant influencé et marqué des générations de musiciens. Grands personnages... Quel esprit et quel humour ! Une soirée inoubliable. »